Royaume-Uni

Brexit repoussé et avenir incertain

Hier, les députés britanniques ont voté majoritairement pour repousser la sortie de l’Union européenne d’au moins trois mois. Si les options concernant la suite semblent de moins en moins nombreuses, le Brexit continue d’animer les débats dans un pays divisé. Explications.

Sur quoi les députés se sont-ils entendus hier ?

La Chambre des communes a adopté, par 412 voix contre 202, une motion demandant de retarder la sortie de l’Union européenne (UE), au moins jusqu’au 30 juin 2019. Le Brexit devait prendre effet le 29 mars prochain, comme l’a répété maintes et maintes fois la première ministre Theresa May. Les députés avaient refusé deux fois les accords sur le Brexit avec l’UE présentés par Mme May. Ils ont aussi rejeté, cette semaine, la possibilité de sortir de l’UE sans accord.

Est-ce que l’UE peut s’opposer à un nouveau délai ?

Oui. Il suffirait qu’un seul des vingt-sept États membres vote contre pour contraindre le Royaume-Uni à garder son échéance initiale du 29 mars. Mais les spécialistes à qui La Presse a parlé croient ce scénario peu probable. « Le Parlement européen aussi a besoin de temps, il y a toute une série de lois nécessaires à mettre en place », a noté Armand de Mestral, professeur à l’Université McGill spécialisé dans le droit de l’UE. La Commission européenne a déclaré que l’UE examinerait toute demande « en tenant compte des raisons et de la durée d’une éventuelle prolongation ».

Est-ce qu’il risque d’y avoir un autre référendum ?

« C’est très peu probable », estime Armand de Mestral. En effet, dans un autre vote tenu hier, les députés ont rejeté à 334 contre 85 une motion demandant un nouveau référendum sur le Brexit.

En quoi la semaine prochaine risque-t-elle d’être décisive ?

Mardi, Mme May soumettra une nouvelle fois au vote le texte de l’accord négocié avec les Vingt-Sept. « Ce sera la troisième et dernière tentative pour aller dans la voie d’un accord », dit le politologue Achim Hurrelmann, de l’Université Carleton.

« Si le projet de Mme May est refusé une troisième fois, ça va être le chaos », juge M. de Mestral, qui estime qu’hier, les conservateurs ont « frôlé la perte de contrôle ». Le report au 30 juin est d’ailleurs conditionnel à l’acceptation de l’accord. « La vraie question, c’est si les Brexiters purs et durs et les unionistes nord-irlandais [du DUP] peuvent être rassurés suffisamment pour se rallier », note Andrea Bjorklund, professeure à l’Université McGill. Le DUP ne veut pas d’un accord qui pourrait séparer l’Irlande du Nord.

Pourquoi les Britanniques visent-ils le 30 juin ?

L’Union européenne doit tenir des élections du 23 au 26 mai prochain. Les nouveaux élus prendront place au Parlement européen en juillet. Si le Royaume-Uni y est toujours, il devra tenir des élections pour y envoyer des élus. « Et, on présume, remplir des obligations financières », souligne Mme Bjorklund. Elle croit qu’il serait probablement « dans l’intérêt » de la Grande-Bretagne d’y conserver un siège si le délai est prolongé, ce qui reste une possibilité.

Pourquoi tous ces votes ?

« Le Parlement est incroyablement divisé. C’est amendement après amendement, et les seules choses sur lesquelles ils votent, c’est sur ce qu’ils ne veulent pas », indique M. Hurrelmann, par exemple, le rejet d’une sortie sans accord. Il n’existe pas en ce moment une opposition forte ou unie, estiment les experts, ce qui permet aux conservateurs de garder le pouvoir malgré les fractures dans leur propre parti, alors que huit ministres ont voté contre la proposition gouvernementale du report hier. « Lire tous les motions et amendements est un travail à temps plein », s’amuse Mme Bjorklund.

— Avec Le Monde et l’Associated Press

Brexit

Les différents scénarios

Brexit reporté

Deux reports sont possibles. Le premier prendrait effet si un accord de divorce était finalement adopté. D’ordre technique, il s’achèverait le 30 juin. En l’absence d’accord, le second report, plus long, exigerait du Royaume-Uni qu’il prenne part aux élections européennes des 23 au 26 mai. Mais l’UE a prévenu que toute prolongation devrait être dûment justifiée et acceptée à l’unanimité par les 27, qui seront réunis en sommet les 21 et 22 mars à Bruxelles. Le président du Conseil européen Donald Tusk les a invités à être prêts à accorder « une longue prolongation » au Royaume-Uni s’il « accepte de repenser sa stratégie ».

L’accord de May, encore

Les députés britanniques voteront à nouveau, d’ici le 20 mars, sur le traité de retrait de l’UE, qui prévoit un Brexit en douceur, même s’ils l’ont massivement recalé à deux reprises, d’abord le 15 janvier, puis mardi. Face à un report à rallonge du Brexit ou à l’éventuelle organisation d’un nouveau référendum, les défenseurs d’une sortie de l’UE qui ont voté contre pourraient changer d’avis et considérer ce texte comme l’unique voie sûre pour réellement quitter l’UE.

Brexit sans accord

Le Parlement l’a rejeté mercredi, mais un Brexit sans accord reste l’option par défaut, si aucun terrain d’entente n’est trouvé. En cas de « no deal », le Royaume-Uni mettrait fin du jour au lendemain à 46 ans d’appartenance à l’UE, quittant le marché unique et l’union douanière sans période de transition. Ce scénario redouté par les milieux économiques entraînerait d’importantes perturbations dans les échanges entre le Royaume-Uni et l’UE. De nombreux députés s’élèvent contre une telle issue, mais certains fervents défenseurs du Brexit jugent qu’« une absence d’accord vaut mieux qu’un mauvais accord ».

Second référendum ou élections législatives

Réclamée par quelques dizaines de parlementaires europhiles, l’option d’un second référendum a été rejetée hier par la Chambre des communes. Il n’est pas exclu qu’elle finisse par y revenir, en particulier en cas de blocage prolongé. Le chef de l’opposition, le travailliste Jeremy Corbyn, lui a récemment apporté son soutien, mais du bout des lèvres. La première ministre Theresa May refuse quant à elle d’envisager une nouvelle consultation des Britanniques.

— Agence France-Presse

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